Paul Éluard : l'élu de l'art
Paul Eluard, l'élu de l'art (1), nom de plume d'Eugene Grindel, écrit ses premiers poèmes à l'âge de 12 ans. La Tuberculose le conduit dans un sanatorium des Alpes Suisse où il fait la rencontre d'une jeune et jolie femme russe qui se fait appeler Gala et qu'il épousera en 1918. Ils lisent ensemble des poèmes (Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Lautréamont et Guillaume Apollinaire) et elle lui inspire ses premiers élans de poésie amoureuse. Mobilisé en 1914, la guerre le traumatise et change à tout jamais sa vision du monde. Elle lui inspire "Poèmes pour la paix" en 1918. La fin de la guerre sonne la glas du 19eme, siècle mort sous les bombes de Verdun et conduit les membres du groupe Dada puis surréaliste dont il fera partie à vouloir détruire la littérature (Voir notre blog sur Dada et surréalisme).
Paul Eluard et Gala
C'est Jean Paulhan le rédacteur en chef de La nouvelle revue française qui le présentera à André Breton. En 1922, il rencontre Max Ernst, c'est un coup de foudre artistique entre les deux hommes qui donne naissance à "répétitions" un recueil de poèmes illustré par 11 collages du grand peintre dadaiste mais c'est aussi une rencontre à 3 avec Gala.
Estampe de Max Ernst issu du tiré à part du livre hommage à Paul Eluard "Un poème dans chaque livre"
(en vente sur le site)
C'est une impasse pour le poète sur le plan artistique car dada se révèle trop destructeur et sur le plan affectif il sent qu'il perd peu à peu Gala. Cela lui inspire "mourir de ne pas mourir" dans "Capitale de la douleur" et l'un de ses plus célèbres poèmes : "l'amoureuse" (2).
Poème L'Amoureuse - Paul Eluard
En 1924, après un voyage à Tahiti qu'il qualifiera plus tard d'idiot, c'est l'aventure surréaliste qui débute. Le manifeste surréaliste, se prolonge et s'incarne dans "L'amour la poésie" un recueil de poèmes dans lequel figure le célèbre "La terre est bleue comme une orange" (3) et qui aborde les thèmes principaux du surréalisme littéraire : l'amour, la poésie et la liberté. Les écrivains rêvent la femme, ils prônent "l'amour fou" titre éponyme du livre de Breton mais aussi le désir et le hasard.
Paul Eluard et les surréalistes
Les surréalistes entrent bientôt dans un délire érotique avec "l'enquête sur la sexualité" ou "l'immaculée conception" (4) signée de Breton et d'Eluard. Pour les deux écrivains, l'homme n'a pas été créé par dieu mais par le hasard. Ce hasard les surréalistes le reconstitue en laissant des fragments de tableaux ou de mots s'assembler à leur guise. Un jour ils lisent "le cadavre exquis boira le vin nouveau" qui sera à l'origine de l'écriture automatique qui consiste en littérature ou en peinture à s'émanciper de l'étroitesse de la pensée régie par la raison. En 1925 la révolution surréaliste publie "152 Proverbes mis au gout du jour" par Paul Eluard et Benjamin Peret et bourré d'aphorismes (5). En 1929, Gala quitte définitivement Eluard pour Dali. Il continuera tout au long de sa vie à lui écrire les fameuses lettres à Gala (6). La même année, il a une relation avec la peintre Valentine Hugo qui aura aussi une relation avec André Breton en 1930.
Lettres à Gala de Paul Eluard
Portrait de Paul Eluard par l'artiste Valentine Hugo
(en vente sur le site)
Le hasard ensuite décide, alors qu'il se promène près des grands magasins avec René char, il aborde Maria Benz surnommée Nusch. D'après le poète "aborder des femmes dans la rue est un acte surréaliste proche de la roulette russe". Elle devient la mascotte, l'égérie des surréalistes. En 1935, c'est la publication de "Facile" où Eluard collabore avec Man Ray qui illustre ses poèmes par des photos de Nusch dénudée (7).
Poème de Paul Eluard dans Facile illustré par Man Ray et représentant Nusch
Portrait de Nusch par Pablo Picasso
Elle devient le modèle de Picasso en couple durant cette période avec Dora Maar et une amitié très forte nait entre le peintre et le poète.
Paul Eluard et Pablo Picasso à Juan-les-Pins (Septembre 1937)
Estampe de Pablo Picasso issu du tiré à part du livre hommage à Paul Eluard "Un poème dans chaque livre"
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En 1937, c'est le bombardement de Guernica, Eluard écrit en 1938 dans son recueil "cours naturel" le poème "la victoire de Guernica" (8) et Pablo Picasso réalise un de ses plus célèbres tableaux.
Guernica, tableau de Pablo Picasso (1881-1973)
A cette époque, les désaccords s'amplifient entre Eluard et Breton, sur le plan politique, l'un est staliniste, l'autre trotskiste et sur le plan littéraire, le poète refuse l'écriture automatique. Eluard quitte le groupe en 1938. Durant la guerre, il devient le poète de la résistance. Il compose en 1942 "la dernière nuit" (9) en hommage aux fusillés et le célèbre poème "liberté" (10) parachuté par les avions anglais à des milliers d'exemplaires au-dessus de la France. En 1951 Eluard livre son poème testament "tout dire".
Poème Liberté - Paul Eluard
NOTES DE BAS DE PAGE :
(1) Vers adressé à Eluard par Paul Valery pendant l'occupation allemande.
" Eluard, Eluard, élu
De l'art qui veut que l'on soit lu
D'esprits purs sans matière grasse
Je te bénis, je te rends grâce..."
(2) L''amoureuse de Paul Eluard :
" Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire. "
(3) La terre est bleue
"La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.
Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté. "
(4) Le Kamasutra littéraire par André Breton et Paul Eluard
1. Lorsque la femme est sur le dos et que l'homme est couché sur elle,
c'est la cédille.
2. Lorsque l'homme est sur le dos et que sa maîtresse est couchée sur
lui, c'est le c.
3. Lorsque l'homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc et
s'observent, c'est le pare-brise.
4. Lorsque l'homme et la femme sont couchés sur le flanc, seul
le dos de la femme se laissant observer, c'est la Mare-au-Diable.
5. Lorsque l'homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc,
s'observant, et qu'elle enlace de ses jambes les jambes de l'homme, la
fenêtre grande ouverte, c'est l'oasis.
6. Lorsque l'homme et la femme sont couchés sur le dos et qu'une
jambe de la femme est en travers du ventre de l'homme, c'est le miroir
brisé.
7. Lorsque l'homme est couché sur sa maîtresse qui l'enlace de ses
jambes, c'est la vigne-vierge.
8. Lorsque l'homme et la femme sont sur le dos, la femme sur l'homme
et tête-bêche, les jambes de la femme glissées sous les bras de l'homme,
c'est le sifflet du train.
9. Lorsque la femme est assise, les jambes étendues sur l'homme couché
lui faisant face, et qu'elle prend appui sur les mains, c'est la lecture.
10. Lorsque la femme est assise, les genoux pliés, sur l'homme couché,
lui faisant face, le buste renversé ou non, c'est l'éventail.
11. Lorsque la femme est assise de dos, les genoux pliés, sur l'homme
couché, c'est le tremplin.
12. Lorsque la femme, reposant sur le dos, lève les cuisses
verticalement, c'est l'oiseau-lyre.
13. Lorsque la femme, vue de face, place ses jambes sur les épaules
de l'homme, c'est le lynx.
14. Lorsque les jambes de la femme sont contractées et maintenues
ainsi par l'homme contre sa poitrine, c'est le bouclier.
15. Lorsque les jambes de la femme sont contractées, les genoux pliés
à hauteur des seins, c'est l'orchidée.
16. Lorsqu'une des jambes seulement est étendue, c'est minuit passé.
17. Lorsque la femme place une de ses Jambes sur l'épaule de l'homme
et étend l'autre jambe, puis met celle-ci à son tour sur l'épaule et étend
la première, et ainsi de suite alternativement, c'est la machine à coudre.
18. Lorsqu'une des jambes de la femme est placée sur la tête de l'homme,
l'autre jambe étant étendue, c'est le premier pas.
19. Lorsque les cuisses de la femme sont élevées et placées l'une sur
l'autre, c'est la spirale.
20. Lorsque l'homme, pendant le problème, tourne en rond et jouit de sa
maîtresse sans la quitter, celle-ci ne cessant de lui tenir les reins
embrassés, c'est le calendrier perpétuel.
21. Lorsque l'homme et sa maîtresse prennent appui sur le corps l'un
de l'autre, ou sur un mur et, se tenant ainsi debout engagent le
problème, c'est à la santé du bûcheron.
22. Lorsque l'homme prend appui sur un mur et que la femme, assise
sur les mains de l'homme réunies sous elle, passe ses bras autour
de son cou et, collant ses cuisses le long de sa ceinture, se remue au
moyen de ses pieds dont elle touche le mur contre lequel l'homme
s'appuie, c'est l'enlèvement en barque.
23. Lorsque la femme se tient à la fois sur ses mains et sur ses pieds,
comme un quadrupède, et que l'homme reste debout, c'est la boucle
d'oreille.
24. Lorsque la femme se tient sur ses mains et ses genoux et que
l'homme est agenouillé, c'est la Sainte-table.
25. Lorsque la femme se tient sur ses mains et l'homme debout la tient
soulevée par les cuisses, celles-ci lui enserrant les flancs, c'est la bouée
de sauvetage.
26. lorsque l'homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui
faisant face, est assise à califourchon sur lui, c'est le jardin public.
27. Lorsque l'homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui
tournant le dos est assise à califourchon sur lui, c'est le piège.
28. Lorsque l'homme est debout et que la femme repose le haut de son
corps sur le lit, ses cuisses enserrant la taille de l'homme, c'est la tête
de Vercingétorix.
29. Lorsque la femme est accroupie sur le lit devant l'homme debout
contre le lit, c'est le jeu de la puce.
30. Lorsque la femme est à genoux sur le lit, face à l'homme debout
contre le lit, c'est le vétiver.
31. Lorsque la femme est à genoux sur le lit, tournant le dos à l'homme
debout contre le lit, c'est le baptême des cloches.
32. Lorsque-la vierge est renversée en arrière, le corps puissamment
arqué et reposant sur le sol par les pieds et les mains, ou mieux par les
pieds et la tête, l'homme étant à genoux, c'est l'aurore boréale.
(5) Aphorismes de 152 proverbes mis au gout du jour :
Avant le déluge, désarmez les cerveaux.
Une maîtresse en mérite une autre.
Ne brûlez pas les parfums dans les fleurs.
Les éléphants sont contagieux.
Il faut rendre à la paille ce qui appartient à la poutre.
La diction est une seconde punition.
Comme une huître qui a trouvé une perle.
Qui couche avec le pape doit avoir de longs pieds.
Le trottoir mélange les sexes.
A fourneau vert, chameau bleu.
Sommeil qui chante fait trembler les ombres.
Ne mets pas la manucure dans la cave.
Quand un œuf casse des œufs, c’est qu’il n’aime pas les omelettes.
L’agent fraîchement assommé se masturbe de même.
La danse règne sur le bois blanc.
Les grands oiseaux font les petites persiennes.
Un crabe, sous n’importe quel autre nom, n’oublierait pas la mer.
Nul ne nage dans la futaie.
« Examine mon cas » dit le héros à l’héroïne.
Pour la canaille obsession vaut mitre.
Les labyrinthes ne sont pas faits pour les chiens.
Rincer l’arbre.
Orfèvre, pas plus haut que le gazon.
Les curés ont toujours peur.
C’est le gant qui tombe dans la chaussure.
Devenu creux, le cap se fait tétine.
Le soleil ne luit pour personne.
Épargner la manne, c’est rater l’enfant.
Un vrai voleur d’hirondelles.
A petits tonneaux, petits tonneaux.
Ne fumez pas le Job ou ne fumez pas.
Plus elle est loin de l’urne plus la barbe est longue.
La concierge pique à la machine.
Belette n’est pas de bois.
Trois dattes dans une flûte.
Il ne faut pas coudre les animaux.
Dieu calme le corail
Tourner le radius du côté du mur.
Qui s’y remue s’y perd.
Il faut battre sa mère pendant qu’elle est jeune.
Un clou chasse Hercule.
Quand la raison n’est pas là, les souris dansent.
Un peu plus vert et moins que blond.
Viande froide n’éteint pas le feu.
Une ombre est une ombre quand même.
Saisir l’œil par le monocle.
Le silence fait pleurer les mères.
Peau qui pèle va au ciel.
Il n’y a pas de désir sans reine.
Qui n’entend que moi entend tout.
Trop de mortier nuit au blé.
Une femme nue est bientôt amoureuse.
Qui sème des ongles récolte une torche.
La grandeur ne consiste pas dans les ruses, mais dans les erreurs.
On n’est jamais blanchi que par les pierres.
Mourir quand il n’est plus temps.
Se mettre une toupie sur la tête.
Honore Sébastien si Ferdinand est libre.
Trois font une truie.
Il y a toujours un squelette dans le buffet.
La métrite adoucit les flirts.
Un loup fait deux beaux visages.
Saisir la malle du blond.
Les complices s’enrichissent.
La feuille précède le vent.
Les cerises tombent où les textes manquent.
Joyeux dans l’eau, pâle dans le miroir.
Le marbre des odeurs a des veines mouvantes.
Mettez un moulin à cheval, il ira à Chatou.
S’il n’en reste qu’une, c’est la foudre.
Il ne faut pas lâcher la canne pour la pêche.
Duvet cotonneux des médailles.
Vague de sous, puits de moules.
Un nègre marche à côté de vous et vous voile la route.
Le rat arrose, la cigogne sèche.
Les enfants qui parlent ne pleurent pas.
A chaque jour suffit sa tente.
Comme une poulie dans un pâté.
Tout ce qui grossit n’est pas mou.
C’est l’auréole qui perce la dentelle.
Les poils tombés ne repoussent pas pour rien.
Coupez votre doigt selon la bague.
Il y a toujours une perle dans ta bouche.
Ne jetez aux démons que les anges.
Vous avez tout lu mais rien bu.
A quelque rose chasseur est bon.
Faire son petit sou neuf.
Loin des glands, près du boxeur.
Fidèle comme un chat sans os.
Un cou crasseux fait un pipe culottée.
Les beaux crânes font de belles découvertes.
Gratter sa voisine ne fleurit pas en mai.
D’abord enfermez le collier, ensuite attrapez-le.
Tout ce qui vient de ma cuisine grandit dans la cour.
Brûler le coq pour grossir.
Tirez toujours avant de ramper.
Un corset en juillet vaut un troupeau de rats.
User sa corde en se pendant.
Une brume s’y prend plus gentiment.
Jouer du violon le mardi.
Le pélican est ce qui se rapproche le plus du bonnet de nuit.
Saluer l’âne qui broute des griffes.
Rassemble, afin d’aimer.
Les courtisanes perdent leurs as.
Passe ou file.
Les savants qui s’approchent jettent leurs vêtements dans les fossés.
Faire deux heures d’une horloge.
Les homards qui chantent sont américains.
Il n’y a pas de cheveux sans rides.
Les amants coupent les amantes.
Un albinos ne fait pas le beau temps.
Tout ce qui vole n’est pas rose.
Je suis venu, je me suis assis, je suis parti.
Il y a loin de la route aux escargots.
Rouge comme un pharmacien.
Porter ses os à sa mère.
Un plongeon vaut mieux qu’une grimace.
Le son fait la Beauce.
Dans le paysage, un beau fruit fait une bosse et un trou.
A chien étranglé, porte fermée.
Herbe sonore se prend au nid.
Dansez tout le jour ou perdez vos binocles.
Sourd comme l’oreille d’une cloche.
Deux crins font un crime.
Mieux vaut mourir d’amour que d’aimer sans regrets.
Il y a un ivrogne pour les curieux.
C’est un rat qui dégonfle un autre rat.
Un trombone dans un verre d’eau.
Une arme suffit pour montrer la vie.
Un jeune homme marié perd son nez.
Il n’y a pas de bijoux sans ivresse.
Les castors ne se purgent pas la nuit.
Mon prochain, c’est hier ou demain.
Écraser deux pavés avec la même souche.
Tuer n’est jamais voler.
Ne grattez pas le squelette de vos aïeux.
Taquiner le corbillard.
Les pelles ne se vendent pas sans fusils.
A chacun sa panse.
Les blessures en forme d’arc ne conjurent pas l’orage.
Sois grand avant d’être gras.
Un rêve sans étoiles est un rêve oublié.
Brosse d’amour pour les hirsutes.
Le sein est toujours le cadet.
Pendu aux cerises.
Chien mal peigné s’arrache les poils.
Celui qui n’a jamais senti la pluie se moque des nénuphars.
La rivière est borgne.
Une tarte suffit pour l’horizon.
A bonne mère, suie chaude.
Quand la route est faite, il faut la refaire.
Vivre d’erreurs et de parfums.
(6) Lettre à Gala - Avril 1928 :
Mon cher amour, mon doux amour,
Je suis encore couché aujourd’hui. Je viens de faire un rêve merveilleux, un de ses rêves de jour où les émotions physiques vous laissent au réveil toute la part du désir — et le désir qu’on traîne, ensuite, éveillé, ressemble tellement au plaisir du rêve. J’étais étendu sur un lit à côté d’un homme que je ne suis pas sûr d’identifier, mais un homme soumis, rêveur depuis toujours et pour toujours et silencieux. Je lui tourne le dos. Et tu viens t’allonger contre moi, énamourée, et tu me baises les lèvres doucement, très doucement et je caresse sous ta robe tes seins fluides et si vivants. Et tout doucement, ta main par-dessus moi, va chercher l’autre personnage et s’impose à son s*xe. Je vois cela dans tes yeux qui se troublent lentement, de plus en plus. Et ton baiser devient plus chaud, plus humide, et tes yeux s’ouvrent de plus en plus. La vie de l’autre passe en toi et, bientôt, c’est comme si tu br*nlais un mort. Je m’éveille, grisé légèrement, incapable de renoncer à ce plaisir.
Il faut avouer que le retour à Arosa ne m’apparaît pas triste, que ce n’est d’ailleurs pas un retour à Arosa, mais un retour à toi, par conséquent à mon amour. Par conséquent, je n’ai qu’une envie : te voir, te toucher, te baiser, te parler, t’admirer, te caresser, t’adorer, te regarder, je t’aime, je t’aime toi seulement, la plus belle et dans toutes les femmes je ne trouve que toi : toute la Femme, tout mon amour si grand, si simple
Je vais mieux. Philippon est ce matin, dit qu’il faut être prudent, mais que je n’ai rien à la poitrine. Il m’a donné pour le nez dont je souffrais beaucoup, une pommade cocaïne qui m’a instantanément calmé.
J’ai tout le temps pensé à t’envoyer des livres, mais il n’y a que trois jours que j’en ai trouvé. Et je les lis avant de les emporter, par prudence. Tu en auras au moins trois, dont deux qui te plairont, t’enchanteront sûrement.
Je répète dans toutes mes lettres que les robes vont bien et tu dois t’attendre à monts et merveilles. N’y crois pas trop. J’ai au contraire l’impression que ce sera tout juste. Enfin, pourvu que ma bien-aimée fasse l’amour toute nue — et aussi toute habillée !
J’ai reçu votre télégramme avant le sommeil décrit au verso. « Baisers », disait-il. C’est cela qui m’a tellement troublé. Et aussi des souvenirs ravivés, je vous dirai comment à Arosa. Mais je souffre terriblement de votre absence. J’ai de plus en plus la volonté d’aller mieux. J’ai été très flatté d’un compliment d’une petite Berlinoise très jolie rencontrée chez Crevel (que nous avions été voir à Berlin et qui voulait vendre deux petites Rousseau. Son mari était un [assez] joli garçon pédéraste, tu lui trouvais même « très beau ») : que j’étais « grand et beau, avec la taille mince et les épaules larges ». Qu’elle garde ses illusions ! Je considèrerais comme sacrilège de les lui enlever !! hi ! hi ! Je vous envoie d’autres photos de votre Jouk qui se montre « aussi » très « aimable » avec moi, reste sur mon lit. Je lui parle de vous. Il remue la queue, met son nez contre ma main.
Je partirai sans faute vendredi soir. Vous, vous devrez partir de Magadino samedi matin de bonne heure pour être à Arosa le soir, à moins que vous préfériez rester le dimanche à Magadino pour des raisons [sic]. Soyez sûre que je n’y trouverai pas à redire un mot. J’arrangerai tout à Arosa, dans ce cas, pour vous recevoir dignement. Mon désir de vous n’en sera pas moins grand.
En tout cas, ce qui est, c’est que votre image ne me quitte pas une minute, que je vous aime en tout : en vous, en toute chair aussi, en tout amour. Je suis votre mari pour toujours,
Paul.
(7) Texte Tiré de Facile :
Tu te lèves l’eau se déplie
Tu te couches l’eau s’épanouit
Tu es l’eau détournée de ses abîmes
Tu es la terre qui prend racine
Et sur laquelle tout s’établit
Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits
Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l’arc-en-ciel
Tu es partout tu abolis toutes les routes
Tu sacrifies le temps
A l’éternelle jeunesse de la flamme exacte
Que voile la nature en la reproduisant
Femme tu mets au monde un corps toujours pareil
Le tien
Tu es la ressemblance.
(8) La victoire de Guernica :
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort cœur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir .
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
(9) La derniere nuit (extrait)
Ce petit monde meurtrier
Est orienté vers l'innocent
Lui ôte le pain de la bouche
Et donne sa maison au feu
Lui prend sa veste et ses souliers
Lui prend son temps et ses enfants
Ce petit monde meurtrier
Confond les morts et les vivants
Blanchit la boue gracie les traîtres
Transforme la parole en bruit
Merci miuit douze fusils
Rendent la paix à l'innocent
Et c'est aux foules d'enterrer
Sa chair sanglante et son ciel noir
Et c'est aux foules de comprendre
La faiblesses des meurtriers.
(10) Paul Eluard : Pouvoir tout dire
Le tout est de tout dire et je manque de mots
Et je manque de temps et je manque d'audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J'ai mal vécu et mal appris à parler clair
Tout dire les rochers la route et les pavés
Les rues et leurs passants les champs et les bergers
Le duvet du printemps la rouille de l'hiver
Le froid et la chaleur composant un seul fruit
Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l'anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d'homme tout ce qu'il éclaire
Son histoire et son sang son histoire et sa peine
Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme en un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres
La famille des mains la famille des feuilles
Et l'animal errant sans personnalité
Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles
La justice debout le bonheur bien planté
Le bonheur d'un enfant saurai-je le déduire
De sa poupée ou de sa balle ou du beau temps
Et le bonheur d'un homme aurai-je la vaillance
De le dire selon sa femme et ses enfants
Saurai-je mettre au clair l'amour et ses raisons
Sa tragédie de plomb sa comédie de paille
Les actes machinaux qui le font quotidien
Et les caresses qui le rendent éternel
Et pourrai-je jamais enchaîner la récolte
A l'engrais comme on fait du bien à la beauté
Pourrai-je comparer le besoin au désir
Et l'ordre mécanique à l'ordre du plaisir
Aurai-je assez de mots pour liquider la haine
Par la haine sous l'aile énorme des colères
Et montrer la victime écrasant les bourreaux
Saurai-je colorer le mot révolution
L'or libre de l'aurore en des yeux sûrs d'eux-mêmes
Rien n'est semblable tout est neuf tout est précieux
J'entends de petits mots devenir des adages
L'intelligence est simple au-delà des souffrances
Comment saurai-je dire à quel point je suis contre
Les absurdes manies que noue la solitude
J'ai failli en mourir sans pouvoir me défendre
Comme en meurt un héros ligoté bâillonné
J'ai failli en être dissous corps cœur esprit
Sans formes et aussi avec toutes les formes
Dont on entoure pourriture et déchéance
Et complaisance et guerre indifférence et crime
Il s'en fallut de peu que mes frères me chassent
Je m'affirmais sans rien comprendre à leur combat
Je croyais prendre au présent plus qu'il ne possède
Mais je n'avais aucune idée du lendemain
Contre la fin de tout je dois ce que je suis
Aux hommes qui ont su ce que la vie contient
A tous les insurgés vérifiant leurs outils
Et vérifiant leur cœur et se serrant la main
Hommes continuement entre humains sans un pli
Un chant monte qui dit ce que toujours on dit
Ceux qui dressaient notre avenir contre la mort
Contre les souterrains de nains et des déments.
Pourrai-je dire enfin la porte s'est ouverte
De la cave où les fûts mettaient leur masse sombre
Sur la vigne ou le vin captive le soleil
En employant les mots de vigneron lui-même
Les femmes sont taillées comme l'eau ou la pierre
Tendres ou trop entières dures ou légères
Les oiseaux passent au travers d'autres espaces
Un chien familier traîne en quête d'un vieil os
Minuit n'a plus d'écho que pour un très vieil homme
Qui gâche son trésor en des chansons banales
Même cette heure de la nuit n'est pas perdue
Je ne m'endormirai que si d'autres s'éveillent
Pourrai-je dire rien ne vaut que la jeunesse
En montrant le sillon de l'âge sur la joue
Rien ne vaut que la suite infinie des reflets
A partir de l'élan des graines et des fleurs
A partir d'un mot franc et des choses réelles
La confiance ira sans idée de retour
Je veux que l'on réponde avant que l'on questionne
Et nul ne parlera une langue étrangère
Et nul n'aura envie de piétiner un toit
d'incendier des villes d'entasser des morts
Car j'aurai tous les mots qui servent à construire
Et qui font croire au temps comme à la seule source
Il faudra rire mais on rira de santé
On rira d'être fraternel à tout moment
On sera bon avec les autres comme on l'est
Avec soi-même quand on s'aime d'être aimé
Les frissons délicats feront place à la houle
De la joie d'exister plus fraîche que la mer
Plus rien ne nous fera douter de ce poème
Que j'écris aujourd'hui pour effacer hier .